Le mantra de l'égalité du temps de parole

Le 19 mars s'ouvre une période politico-médiatique magique, dont la France a le secret : l'égalité stricte de temps de parole entre les candidats ayant obtenu leurs 500 parrainages. Ou comment écrire un billet pour se faire traiter de rabat-joie par son camp.

De l'équité, à l'égalité

csa-logo.jpgAvant qu'on ait la liste définitive (et forcément réduite) des candidatures, les médias doivent appliquer le concept flou '"d'équité". C'est-à-dire accorder un temps de parole correspondant au poids politique des forces en présence. Le calcul est grosso modo le suivant : poids politique divisé par le coefficient ("bon client" "grande gueule") multiplié par l'apport potentiel en audimat. Autant dire qu'un représentant d'une petite formation politique qui ne passe pas bien à l'écran peut disparaître des principales émissions et être condamné aux matinales des jours fériés ou aux radios régionales et confessionnelles.

Le CSA publie ses procédures pour celles et ceux que ça intéresse :

Forcément, cette équité génère d'énormes inégalités. Lors de la primaire socialiste, la quasi totalité du temps de parole de l'opposition a été occupé par le PS, car le CSA reconnait - en gros - le président, la majorité, l'opposition. Out le PCF et les Verts pour des semaines entières. Le temps de parole présidentiel a également donné lieu à quelques polémiques, car comment faire la part des choses entre le Président de la République française et le chef de parti ?

Plus récemment, depuis le 1er janvier 2012, le temps d'antenne est trusté par les deux principales formations politiques que sont l'UMP et le PS. Au nom de l'équité bien sûr, même si on peut se demander si des abus ne pourraient pas être constatés par le CSA (note : je ne cautionne pas la fusion entre PS et UMP ni entre les deux candidats induite par ce schéma).

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Dans un autre genre, les appeaux à audimat sont également privilégiés face aux candidats des partis plus modestes, même si les scores passés sont similaires voire supérieurs. La loi du genre pour la présidentielle, sans doute, où l'on met plus l'accent sur la personnalité que réellement ses propositions.

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Je regrette évidemment ce manque d'exposition médiatique des idées auxquelles je crois, des candidats et candidates que je défends. Sur Facebook, on m'a dit pour rire :

En fait, Eva Joly a du mérite : elle fait plus dans les sondages que le temps moyen qu'on lui accorde sur ces chaînes : 3 à 4% contre 2.89% de temps d'antenne (sans tenir compte de leur audience à chacune). Alors que Le Pen junior fait grosso-modo le même score (16% dans les sondages, 15.54% pour son temps de passage à l'antenne). En gros, si on laissait 16% de temps d'antenne à Eva Joly, elle ferait 16% ?!

Toutefois, il me parait logique et normal que les médias usent de leur liberté quant au choix des invités. Ce serait juste un peu mieux si c'était un peu plus équilibré, que la parole était plus diverse. Une remarque qui pourrait être étendue au choix des invités et des experts en plateau, ou au traitement des sujets de fond par rapport aux sujets "frivoles" et "entertainment"... Les chaînes de télévision et les stations de radio pourraient s'attaquer à leurs grilles de programme et le traitement de l'information politique, au lieu de se plaindre au Conseil constitutionnel.

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Un mantra pour se convaincre entre militants

À partir du 19 mars, nous aurons donc sur les télés et les radios une égalité stricte du temps de parole. Les "petits" candidats s'accrochent à ça : "vous verrez, quand j'aurai le même temps de parole de François Hollande, Nicolas Sarkozy ou Jacques Cheminade, les téléspectateurs, épatés par la justesse de mes propositions, feront mentir les sondages !"[1]

Les militants, en discussion de groupe locale ou sur les mails, embrayent : "ah mais attendez le 19 mars, là on verra notre candidat aussi longtemps que Philippe Poutou ou Nicolas Dupont-Aignan, et alors là notre programme aura un rayonnement incomparable !"

C'est un peu le même mécanisme que la "remontée de terrain" (superbement décrite par Romain Pigenel) : sous prétexte que les tracts sont acceptés sur le marché, parfois avec un sourire, que des gens vous encouragent dans la rue, vous ne croyez pas au sondage, vous sentez que "quelque chose se passe". Une sorte de méthode Coué adaptée aux pratiques militantes.

En 2007, la candidature Verte est restée scotchée sous les 4 %, voire les 3 %, dès juin 2006. À partir de janvier, l'humiliant 1 % était quotidien, avec des points à 2,5 %. L'égalité des temps de parole n'a strictement rien changé. Prenons 3 sondages de la campagne 2007 :

Alors qu'on me permette de douter que dans le cas de la candidature d'Eva Joly, ou de n'importe quelle autre candidature, de l'apport d'une stricte égalité de temps de parole. Comme si le public ne s'informait que par la télévision ou la radio, passait exactement le même temps devant les émissions politiques sans préjuger de l'invité, ne zappait pas, soupesait toutes les propositions sans a priori aucun...

Tout miser sur une égalité de temps de parole, d'accès aux médias radiophoniques et télévisuelles, c'est oublier ou mettre de côté la pertinence des idées qu'on défend. Oui, on est plus écouté quand on a le temps de s'exprimer sur les principales chaînes. Néanmoins, encore plus aujourd'hui, elles ne font pas tout. La mobilisation locale, la presse (surtout en ligne désormais), jouent un grand rôle dans une élection, même la présidentielle.

Note

[1] Je n'ai pu m'empêcher de glisser dans cette phrase un autre délicieux mantra de candidats et militants : "faire mentir les sondages".

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