Oui, le cannabis est un sujet important

Voilà que Cécile Duflot, qui s'est exprimée sur la dépénalisation du cannabis, a créé ce que la droite et les médias ont appelé une "boulette", une "cacophonie" gouvernementale. La ministre du logement a remis brièvement sa casquette de secrétaire nationale d'EELV pour répondre qu'elle était pour la dépénalisation du cannabis.



Le sujet, pourtant important, est traité par dessus la jambe, comme une affaire de mœurs, de morale. J'entends que "le chichon, ce n'est pas la priorité", que "Cécile Duflot cible les bobos du Canal St-Martin pour se faire élire". En gros, qu'un truc qui concerne 12 millions de consommateurs occasionnels, génère 800 millions d'euros de chiffres d'affaires en économie souterraine et occupe une bonne partie des tribunaux ne serait pas important.

Pourtant, en parlant du cannabis on touche un sujet de société qui va de la santé publique à la sécurité, en passant à l'utilité de nos forces de police et de leur activité. Faut-il continuer à demander aux agents de serrer des adolescents pour 15 grammes, engorger les tribunaux avec des petits dealers, ou les laisser se concentrer sur des choses sérieuses, sur les vrais problèmes ?

Les drogues, un problème de santé publique

Il ne vient évidemment à personne l'idée d'inciter qui que ce soit de consommer un psychotrope. Tout comme personne ne songe à inciter à l'alcoolisme ou à fumer comme un pompier. Mais on constate aujourd'hui l'échec magistral des politiques de répression en France et de la guerre à la drogue en Amérique, pour ne prendre que ces deux exemples.

En effet, selon une étude européenne publiée et résumée par Le Monde, la consommation des drogues augmente en France.

L'enquête réalisée par le Conseil suédois pour l'information sur l'alcool et les autres drogues, compare 36 pays. Selon des chiffres provisoires que Le Monde s'est procurés par un biais non officiel, l'évolution sur le cannabis est particulièrement problématique: l'expérimentation est en hausse de 25 %, le nombre de jeunes ayant consommé au moins une fois le produit passant de 31 % à 39 % en quatre ans. L'augmentation est même de 60 % pour la consommation au moins une fois par mois (de 15 % à 24 %).

Les causes d'une telle augmentation de la consommation de tous les psychotropes ? Une politique centrée sur l'interdiction absolue, des dangers irrationnels par rapport à une consommation régulière et qui fait l'impasse sur l'environnement et les raisons profondes des addictions.

"Je sais que nous pouvons être accusés de partialité, car nous n'étions pas d'accord avec la politique menée, mais l'enquête Espad montre bien que celle-ci n'a pas fonctionné", relève Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération addiction, une fédération d'intervenants du secteur. Il estime que la Mildt a faussement fait croire que la France, grâce à l'accent mis sur la répression des usages de cannabis, réussissait à résister. Résultat, elle est surtout, selon lui, passée "à côté de ce qui constitue le gros problème": "l'environnement addictogène" dans lequel évoluent les adolescents dans une société qui favorise les sensations fortes et l'hyperconsommation (jeux vidéo, "binge-drinking", etc.).

"Le problème est que l'objectif a été d'éviter à tout prix le premier usage, alors qu'essayer le cannabis est un signe d'identification chez les jeunes, sans suivi après. Il est pourtant primordial de détecter précocement les usages réguliers", commente Jean-Michel Costes, directeur de l'OFDT de 1995 à 2011. Il critique "une politique qui n'a rien donné sur le cannabis et qui a laissé filer les consommations des drogues légales". Une focalisation sur le cannabis critiquée par les spécialistes, alors que le tabac est une porte d'entrée vers cette substance, et que les jeunes sont des polyconsommateurs.

Le communiqué de la Fédération addiction, Adolescents : alcool, tabac, cannabis… Agir autrement ne défend pas autre chose qu'une cohérence globale à propos de toutes les substances psychoactives, drogues, tabac, alcools. Une politique de santé cohérente en fait, centrée sur les dangers réels auxquels s'exposent les consommateurs plutôt que sur des interdictions obsolètes et quasiment morales.

Les drogues, un problème de sécurité

Quel est le point commun entre Sevran aujourd'hui, le Baltimore et le Chicago des années 1930 ? L'interdiction d'un type de produit qui conduit à la constitution de mafia qui pourrissent des quartiers entiers de la ville, corrompent jusqu'aux plus puissants.

Dans l'extrait suivant de The Wire, un commissaire explique à un agent que la lutte policière contre les drogues ne sert à rien. Pas plus que la Prohibition américaine contre l'alcool n'a empêché sa consommation ni la constitution de puissantes mafias, dont le célèbre Al Capone.



C'est exactement le discours de Stéphane Gattignon, maire de Sevran, qui avait remis le débat sur le tapis en 2010. Son statut de "maire de banlieue" et d'ancien du PCF le protégeait des procès en bien-pensant des beaux quartiers, bobo-écolo. La réalité des quartiers quadrillés par les dealers, où les garçons de 12-13 ans font le guet et les grands-mères servent de nourrice aux paquets, lui et ses équipes la connaissent.

Les positions de Gattignon lui avaient valu le soutien d'un prof de pédiatrie via Le Monde, preuve que le débat sur la santé n'est pas si fermé que ça. L'utilisation thérapeutique du cannabis est d'ailleurs possible dans de nombreux pays, et même Vaillant, ancien ministre de l'Intérieur, soutient aujourd'hui Duflot sur cette question médicale.

Les drogues, un problème pour les démocraties

Un passage de la tribune de Stéphane Gattignon, Le trafic se porte bien, comment va la démocratie ? doit nous intéresser tout particulièrement :

Dans nos territoires, qui a vraiment le pouvoir dans telle ou telle rue, entre telle et telle barre HLM ou copropriété dégradée ? Sait-on qu'un bail d'emplacement de vente de drogue peut se revendre 25 000 euros ? Le trafic va bien ! Pas la démocratie. Nous "comptons" les victimes des règlements de comptes. Les groupes de vendeurs de produits stupéfiants se multiplient. Les armes en circulation sont des gros calibres, des fusils à pompe genre Uzi achetés via les filières de l'Est ou autres Magnum barbotés au grand banditisme avec gilets pare-balles et tout l'attirail nécessaire à la guerre des microgangs. C'est aussi à coups de pied et de poings qu'on tue. C'est à coups de parpaing qu'on casse les têtes. Le lynchage et la lapidation lourde font partie des usages de la vengeance localière.

La fin de l'état de droit sur des zones entières. Toute proportion gardée, c'est ce qui s'est passé au nord du Mexique où les combats de l'armée mexicaine contre les trafiquants de drogue conduit à une quasi guerre civile, où journalistes et simples citoyens blogueurs ou twittos sont massacrés.

Ce qui se passe au Mexique peut arriver au Sahel, au Cap vert, en Guinée Bissau. C'est peut-être déjà le cas dans les zones de chaos où gouvernent des chefs de guerre. Les Taliban afghans se financent en partie grâce à la culture du pavot.

Certes, les situations françaises et mexicaines ne sont pas comparables, ni le shit et la cocaïne ou l'héroïne, mais alors que le Portugal a réussi à s'en sortir et que l'Onu pointe l'échec des guerres à la drogue, nous devons chercher des solutions au-delà de la morale qui soit satisfaisante à la fois en terme de santé publique, de sécurité et de protection de la démocratie.

Quelles solutions ?

Dépénalisation, réglementation, légalisation... peu importent les termes : il faut oser le débat tant la situation actuelle n'est pas tenable. Il est possible de faire preuve d'imagination.

En 2006, Malek Boutih, qui aime bien sortir des rails, sortait un rapport sur une filière 100 % française du chanvre :

pour M. Boutih, le cannabis " est la clé de voûte de la ghettoïsation et de l'insécurité dans les quartiers populaires".

Plutôt que sa dépénalisation, il recommande donc une "régulation" par l'Etat et lance quelques idées audacieuses, inspirées du modèle néerlandais, pour "une nouvelle filière agricole". Le responsable socialiste imagine ainsi des "coopératives chanvrières outdoor (plein champ)" cultivées par des agriculteurs "sur des surfaces sécurisées" et "restreintes à 2 hectares". Ces coopératives "garantissent la production de masse du haschich et de l'herbe de consommation courante". Des "chanvrières sous serres", limitées à "1 hectare", permettraient de cultiver des "boutures de variétés de cannabis" et de "soutenir la concurrence qualitative avec les marchandises d'importation". Enfin, toujours "indoor" (sous serre), des horticulteurs exploiteraient des surfaces de 500 m2, et les producteurs "indépendants", 50 m2. Pour les particuliers, "une surface de 2 m2 de floraison "indoor" et 10 pieds "outdoor" par foyer semble une limite raisonnable, précise le rapport. Les cannabiculteurs les plus passionnés devront se professionnaliser."

Côté distribution, des "associations pourront ouvrir des clubs de consommateurs", de 18 heures à minuit en semaine, jusqu'à 2 heures le week-end, à condition de ne faire aucune publicité extérieure.

Plus récemment, un journaliste de Slate tente d'imaginer une filière française du cannabis. Hélas, l'auteur de l'article oublie de citer les multiples utilisations du chanvre autre que la fumette : cordage, tissage, papier, construction... Une filière française du chanvre serait même bonne pour la Made in France !

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